Amiante : les riverains de l'usine malades

Des niveaux alarmants d'amiante dans les poumons de riverains d'une ancienne usine d'amiante-ciment en Italie

Temps de lecture : 5 min – Catégorie : recherche scientifique

Une étude récemment publiée dans l’American Journal of Industrial Medicine (février 2025) révèle des concentrations d’amiante dans les poumons de personnes décédées de mésothéliome et ayant vécu à proximité d’une usine d’amiante-ciment à Broni, en Italie, équivalentes à celles des ex-salariés de cette usine. Cette recherche post-mortem apporte un éclairage nouveau sur l’impact sanitaire de l’exposition environnementale à l’amiante.

Une exposition environnementale aussi intense que l’exposition professionnelle

L’étude, menée entre 2005 et 2019 sur 77 autopsies de patients décédés de mésothéliome, distingue deux groupes : exposés professionnellement (48 %) et exposés uniquement de manière environnementale (52 %). Tous vivaient dans ou autour de la ville de Broni, où l’usine Fibronit a fonctionné sans dispositif de filtration jusqu’à sa fermeture en 1993.

Les chercheurs ont utilisé la microscopie électronique à balayage couplée à la spectrométrie dispersive en énergie pour mesurer la charge pulmonaire en fibres d’amiante. Les résultats montrent que les habitants vivant à moins de 10 km de l’usine présentaient des taux de fibres d’amiante comparables à ceux des ouvriers, y compris pour les fibres longues (>5 µm) jugées biologiquement critiques.

La dispersion environnementale : un problème sous-estimé

Le vent dominant d’ouest en est a contribué à une large diffusion des fibres, notamment dans la partie est de la ville, où se trouve le centre-ville. Les résidences situées jusqu’à 10 km de l’usine présentent des taux de fibres inquiétants, avec aucune corrélation significative entre la distance au site et la quantité d’amiante retrouvée dans les poumons. Cela suggère que la pollution s’étendait bien au-delà des abords immédiats de l’usine.

Autre constat important : l’amosite, un type d’amiante amphibole, était plus présent chez les personnes exposées professionnellement. En revanche, les corps asbestosiques  — particules d’amiante recouvertes de fer, traces persistantes dans le tissu pulmonaire — étaient plus nombreux chez les travailleurs, mais aussi plus fréquents chez les riverains vivant plus près de l’usine.

Détection difficile du chrysotile

L’étude rappelle que le chrysotile, pourtant massivement utilisé à Broni, est difficile à détecter en post-mortem en raison de sa faible biodurabilité : il est éliminé plus rapidement par l’organisme, contrairement aux amphiboles. Ainsi, seulement 6,5 % des cas analysés contenaient encore du chrysotile détectable, alors même que tous y avaient été exposés.

Un message d’alerte pour les pays utilisant encore l’amiante

Les conclusions sont sans appel : la charge pulmonaire en amiante chez les riverains exposés passivement était comparable à celle des ouvriers de l’usine. Cela souligne l’ampleur de la contamination environnementale et interpelle quant aux risques similaires encourus dans les pays où les usines d’amiante sont encore en activité à proximité de zones d’habitation. « Cette pollution ne se limite pas à la zone immédiate de l'usine, mais concerne l'ensemble de la ville et ses alentours » concluent les auteurs.

Sources :
Visonà S. D., et al., Asbestos burden in lungs of subjects deceased from mesothelioma who lived in proximity to an asbestos factory: A topographic post-mortem SEM-EDS study, American Journal of Industrial Medicine, publié en février 2025

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